Ariane Mnouchkine, Piotr Pavlenski

Un minimum de Culture basique à l'adresse des "santonniers" de La Provence, sous la houlette de Franz-Olivier GIESBERT conduit par Bernard TAPIE!

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Madame la juge,

Je prends ici la liberté de vous écrire au sujet de l’artiste russe, réfugié, Piotr Pavlenskiy. Je ne peux vous cacher le trouble qu’engendre, chez beaucoup d’entre nous, la stratégie de mise en détention provisoire et la prolongation incompréhensible de celle-ci. Procédure totalement inhabituelle dans les cas comme le sien. En effet, je crois savoir que la détention provisoire peut être décidée si l’on craint la fuite, la violence ou une subornation de témoin.

Concernant la fuite, je me permettrai de vous rappeler que Piotr Pavlenskiy est réfugié, qu’il a obtenu son statut de réfugié politique et qu’il a répété à plusieurs reprises lors de son entretien à l’OFPRA, où la question lui fut posée, qu’il souhaitait rester en France mais qu’il y poursuivrait ses combats sous forme de performances artistico-politiques.

Cette claire détermination n’a pas occasionné de remise en cause de son statut de réfugié. Piotr Pavlenskiy, qui est tout sauf un fuyard, a donc, à ce sujet, toujours été franc, et nous — ses amis, connaissances ou simples soutiens — savons et garantissons qu’il ne prendra pas la fuite, et se présentera, comme il se doit, à son procès. Concernant la violence, je me permettrai de vous rappeler qu’à l’occasion des manifestations des Bonnets rouges, aucun, absolument aucun des manifestants n’a été placé en détention provisoire pour des violences et des détériorations pourtant sans commune mesure avec ce dont je vous parle ici. Dans l’affaire qui nous intéresse, le départ de feu suite à la performance de Piotr Pavlenskiy n’était pas prémédité. Si le directeur de la Banque de France a porté plainte le lendemain matin par précaution, les instances dirigeantes, au vu des dégâts occasionnés et ayant pris connaissance des véritables circonstances de l’évènement, ont ensuite, très vite, retiré cette plainte. De plus le galériste de Piotr Pavlenskiy a assuré à plusieurs reprises qu’il prendrait en charge les frais liés à la restauration des fenêtres abîmées.

Nous sommes étonnés aussi que, là ou la loi impose l’audience publique, cette audience particulière, utilisant par là la tolérance réservée aux audiences parisiennes, se soit tenue à huis-clos. De même, nous nous demandons pourquoi une partie de l’audience disciplinaire s’est déroulée sans traducteur. Et nous nous demandons si les caméras de surveillance intallées place de la Bastille, financées par les contribuables, ont normalement fonctionné, car elles auraient pu, qui sait, vous apporter des éléments à décharge. Je m’étonne enfin du sort qui est réservé à Oksana Shalingyna, la compagne de Piotr Pavlenskiy, elle aussi emprisonnée, ce qui pèse lourdement sur l’équilibre de la cellule familiale. Vous savez que sans le concours de proches et d’amis, et au vu de la durée inhabituelle de cette détention, leurs deux enfants auraient risqué d’être placés. Ajoutant ainsi un autre traumatisme.

Piotr Pavlenskiy n’est pas plus un délinquant dangereux que Salvador Dali, André Breton, Robert Desnos, Max Ernst, Luis Bunuel et tant d’autres ne le furent à leur époque, et pourtant les « gestes » de ceux-ci causèrent des scandales autrement plus tempestueux que ceux que tente Piotr Pavlensky en mettant en danger d’abord et avant tout, son propre corps, sa propre chair et sa propre santé. Qu’on apprécie ou non ses performances, rien ne justifie qu’il soit ainsi mis en prison, à l’isolement, séparé de sa femme, retenue elle-aussi, tous deux séparés de leurs enfants, sur une période aussi longue, avant d’être jugé.

Dans l'espoir que vous voudrez bien recevoir mes questions avec bienveillance, et reconsidérer vos décisions à l’égard d’un artiste exubérant certes mais sans aucune réelle nocivité pour notre société qu’il trouve imparfaite, je vous prie d'agréer, Madame la juge, l’expression de mes plus respectueuses et sincères salutations,

Ariane Mnouchkine Directrice du Théâtre du Soleil, Paris, le 23 novembre 2017 à Madame Turquey, juge d’instruction Tribunal de Grande Instance de Paris 4, boulevard du Palais 75001 Paris

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via Le Figaro